Le nom de Willi Schmid, un fromager de Lichtensteig, est connu sur la scène fromagère bien au-delà des frontières du Toggenbourg. En ouvrant le Städtlichäsi avec sa femme Bea, il commença par créer un fromage bleu baptisé Jersey Blue, car il est fabriqué avec le lait de vaches plutôt petites de la race du même nom. Depuis lors, sa création a été élue à plusieurs reprises meilleur fromage bleu du monde. En l’espace d’un mois, deux autres fromages bleus enrichirent la gamme, l’un à base de lait de chèvre, l’autre de bufflonne. Tous ne sont vendus qu’après deux mois d’affinage, car ce n’est qu’à ce moment-là que la moisissure s’est bien propagée à l’intérieur de la pâte du fromage sous forme de fines veines.
Une dizaine de nouveautés ont suivi, dont le Bergfichte. Ce fromage à pâte molle crémeux, presque liquide, a de délicats arômes de résine dus à l’écorce d’épicéa qui l’entoure. Poser cette écorce autour de la masse fraîche n’est pas simple. «Une fromagère ou un fromager doit en produire un certain nombre avant de maîtriser la technique», explique Willi Schmid.
Willi Schmid s’est inspiré d’une ancienne technique des fromagères et fromagers du Toggenbourg. «Autrefois, quand ils montaient à l’alpage, ils commençaient par détacher l’écorce des épicéas pour en faire des moules dans lesquels mettre la masse de fromage», explique-t-il. «La résine et les tanins lui donnaient un goût très délicat.»
Même sans écorce, les fromages du Toggenbourg se distinguent par un goût bien particulier. Pour le spécialiste, c’est dû au fait que la région possède beaucoup de sols argileux lourds, qui fournissent aux plantes de très nombreuses substances nutritives, elles-mêmes présentes dans le lait, puis dans le fromage.
Willi Schmid a grandi dans la ferme parentale à Nesslau, où il a développé dès son plus jeune âge un sens aigu en matière d’herbes aromatiques et de graminées, goûtant plusieurs d’entre elles. Ce sens est si développé qu’à 5 h du matin, lorsque les fermiers livrent le lait, il peut deviner de quel côté de la vallée et sur quel pré les bêtes ont brouté.
Comme dans un sauna
Avant même le lever du jour, on passe à la fabrication du fromage. Assisté de son fils Nicola, d’une jeune fromagère et d’un fromager, Willi Schmid fabrique chaque jour trois sortes de fromage. Lorsque la dernière masse de caillé est versée dans les moules avant midi, il fait 35 degrés dans la pièce et l’humidité de l’air est de 100%. «C’est comme dans un sauna», dit Nicola, dont l’eau dégouline du nez. Ce fromager de formation travaille depuis un an dans l’entreprise et a hérité du gène créatif de son père. Récemment, il a fabriqué un Sauerkäse à base de lait de brebis. Cette dernière innovation fromagère du Toggenbourg prouve que l’art de transformer le lait en fromage a encore de l’avenir.
Le lait, la nourriture des bébés
Willi Schmid a appris l’art de la transformation du lait en faisant d’intenses recherches. C’est ainsi qu’il est tombé sur une information qui a influencé son travail: «Lorsqu’un veau digère le lait maternel, la température de son estomac est de 39 degrés. J’ai donc décidé de chauffer le lait cru à peu près à la même température et non aux 32 à 34 degrés habituels. C’est plus proche du processus naturel et offre l’avantage de faire cailler le lait plus rapidement.» Ce vrai mage du fromage sait donc parfois remettre en question les conventions et les règlements habituels.
Autres mages et spécialités du Toggenbourg
Le Blumenkäse
Thomas Stadelmann, de la fromagerie Stofel à Unterwasser, enduit l’un de ses fromages de fleurs de foin séchées, ce qui lui donne un aspect rustique et un goût littéralement fleuri. Le Blumenkäse plaît aussi à l’étranger et s’exporte même en Australie. Depuis qu’il a repris la fromagerie d’Unterwasser en 1998, Thomas Stadelmann crée chaque année un nouveau fromage. L’un d’entre eux est le Unterwasser extra, merveilleusement crémeux, à la croûte elle aussi brun foncé. Ou le Försterkäse, qu’il affine en l’entourant d’une écorce d’épicéa. Tous ses fromages sont bio.
Le Toggenburger Alpziger
Autrefois, on faisait du sérac sur tous les alpages du Toggenbourg. Les vendeurs ambulants le savaient bien et passaient début décembre de ferme en ferme pour acheter le sérac. Aujourd’hui, rares sont les exploitations qui fabriquent du sérac dans la région. Christian Giger, l’un des deux fils de Felix Giger, célébrité locale décédée, est l’un des derniers producteurs. Il le fait à titre d’activité accessoire en été sur l’alpage de son frère.
Il chauffe du lait partiellement écrémé à 92 degrés et le fait cailler avec du suurs, un lait de chèvre acidifié. «C’est ce que faisait mon père, mais on peut aussi utiliser du vinaigre», explique-t-il. Il verse le caillé dans une grande caisse en bois et le laisse fermenter. En novembre, il sort le bloc à l’odeur particulière, le broie et assaisonne le sérac râpé avec du sel, du cumin et du trèfle séché. Toute la famille participe au façonnage en forme de cône. Le sérac est si bon, selon Willi Schmid, qu’il en fait réserver chaque année quelques dizaines des 250 pièces. Sa femme Bea en vend quelques-uns à la Städtlichäsi. On peut aussi les acheter directement chez Christian Giger à Nesslau.
Le Bloderchäs
Köbi Knaus, âgé de 77 ans, monte encore chaque année à l’alpage en été et fait partie de ceux qui fabriquent le Bloderchäs. Il s’agit d’un fromage ancestral dont les racines remontent aux débuts de l’«industrie» laitière. La méthode de fabrication originale est aujourd’hui encore pratiquée dans quelques régions alpines, en particulier dans le Toggenbourg et chez Köbi. Lisez l’article détaillé sur son Bloderchäs ici.
Les Extrawürste
Un «Metzger» est un boucher et Philipp Metzger est le seul en Suisse à porter ce nom. Il fait lui aussi partie des créatifs du Toggenbourg. Chaque mois, il crée une Extrawurst, une saucisse spéciale différente. Il peut s’agir d’une saucisse à rôtir de poulet au curcuma et au citron. Ou d’une saucisse de bœuf et de porc à l’ananas, à la mangue et à la papaye, la Fernwehwurst. Il produit des saucisses au whisky, aux poires séchées, au sel de sapin ou à la liqueur aux herbes Bermontis. Sans oublier les cervelas fumés dans un poêle, au lard du Stockberg. Ce lard, une merveille en soi, fait désormais partie du patrimoine culinaire du Toggenbourg.
Le Schlorzifladen
Et voici l’élément sucré du patrimoine culinaire du Toggenbourg, qui se mangeait d’habitude à la Saint-Sylvestre. Cette «galette» est désormais disponible toute l’année dans les boulangeries locales. La boulangerie Abderhalden à Wattwil a été la première à la fabriquer à titre commercial. En 2014, Manuela et Gregor Menzi ont racheté l’exploitation et, avec leurs fils, perpétuent la tradition sur plusieurs sites, dont la Josua’s bakery de Wattwil. Une dizaine de Schlorzifladen y sortent chaque jour du four. Elles sont recouvertes d’une épaisse couche de Schlorzi, la masse de poires séchées et cuites, et surmontées d’un généreux nappage de crème.
L'eau-de-vie de Schafenbirne
Ce n’est pas «Paysan souhaite rencontrer… », mais «Jolie petite poire cherche des agriculteurs prêts à la cultiver». Par tradition, la Schafenbirne est la seule à convenir à la préparation du Schlorzifladen. Mais depuis qu’en 2019, le feu bactérien a presque réduit à néant cette très ancienne variété du Toggenbourg, il faut préparer les galettes avec d’autres poires, dont certaines de l’étranger. «Une situation intenable» pour Gregor Menzi, qui, par précaution, a planté deux poiriers de cette variété dans son jardin, en espérant faire des émules à plus grande échelle. Bettina Stillhart, de la distillerie du même nom à Dietfurt, le souhaite elle aussi.
L’un des produits phare de la distillerie, qui est gérée par la même famille depuis quatre générations, est l’eau-de-vie de Schafenbirne. Du fait de la pénurie, elle ne produit annuellement que quelques bouteilles de ce noble distillat. La distillerie vend aussi de la pâte de Schlorzi. Des poires séchées sont trempées dans de la liqueur Williams ou un autre distillat de poire, égouttées et transformées en masse. Les portions de 500 grammes permettent de préparer deux galettes.